Inconséquence

L'Express du 11/09/2003
par Bernard Guetta

Georges W. Bush avait raison. Cette «feuille de route» était un bon plan. Elle pouvait, effectivement, conduire Israéliens et Palestiniens à la paix, mais à deux conditions. La première était que la Maison-Blanche ne se l'approprie pas, qu'elle lui donne tout le poids des Etats-Unis mais n'exclue pas de sa mise en œuvre l'ONU, l'Europe et la Russie, ses coauteurs et premiers promoteurs.

La seconde condition était, elle, sine qua non. Pour que ce plan puisse réussir, il fallait que l'Amérique fasse autant pression sur Ariel Sharon qu'elle l'avait fait sur Yasser Arafat. Il l'aurait fallu, car, dès lors que le président palestinien avait fini, contraint et forcé, par nommer un Premier ministre voulant rompre avec la violence, il fallait que cet homme, Mahmoud Abbas, ait les moyens politiques de marginaliser Hamas.

Il fallait, pour s'imposer, qu'il puisse faire immédiatement voir les dividendes de sa nomination, que l'occupation s'allège et que les prisonniers palestiniens sortent en nombre de prison. Il aurait, donc, fallu qu'Ariel Sharon joue le jeu, mais, après avoir, un instant, ordonné quelques évacuations de colonies, changé de ton et suscité l'espoir, il en est vite revenu à son intransigeance habituelle.

Il a exigé de Mahmoud Abbas qu'il s'attaque, d'abord, à Hamas, ce qui lui était impossible tant qu'Israël n'avait pas montré qu'un compromis s'amorçait. C'est ainsi que les extrémistes ont pu reprendre la main, que s'est, à nouveau, enclenchée la spirale attentats-représailles-attentats, que Mahmoud Abbas a été dévalorisé, cassé par Yasser Arafat et conduit à la démission. C'est, peut-être, ce qu'Ariel Sharon souhaitait.

Beaucoup le disent, mais le problème n'est pas qu'il ait ou non voulu torpiller ce plan. Le problème est que George Bush n'ait pas exigé qu'il en permette le succès. Bush a personnellement engagé l'autorité des Etats-Unis, s'est fait fort de faire avancer seul la feuille de route, sans l'Europe, sans l'ONU, sans la Russie, et le seul résultat de tout cela est que l'Amérique se retrouve aussi embourbée à Jérusalem qu'à Bagdad.

C'est grave. On ne dira jamais assez que c'est très grave, car la plus grande des démocraties ne peut pas non seulement vouloir imposer ses politiques au monde, mais ne pas être capable, en plus, de les mener à bien.

On ne peut pas vouloir aller renverser une dictature et exporter la démocratie au Proche-Orient sans même arriver avec les milliards et les forces nécessaires à cette ambition. On ne peut pas, maintenant, découvrir qu'il est plus difficile de reconstruire l'Irak que de faire tomber Saddam, se retourner vers ses alliés et l'ONU, les appeler à l'aide, leur demander supplétifs et argent, mais continuer à leur refuser tout mot à dire sur la manière de sortir d'une crise qu'ils avaient, eux, malheureusement prévue.

L'Amérique n'est pas seulement arrogante. Elle est, avant tout, inconséquente.

A Jérusalem comme à Bagdad, dans le fiasco de la feuille de route comme dans le chaos irakien, c'est, d'abord, de leur inconséquence que les Américains paient le prix - et le font payer au monde.

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