En Irak, une loi fondamentale qui ne fâche personne
Droits des femmes, fédéralisme.. un compromis trouvé, sans trancher
Par Didier FRANCOIS Bagdad envoyé spécial
mardi 02 mars 2004
Les négociateurs du Conseil de gouvernement irakien ont achevé à l'aube, hier, leur marathon constitutionnel. Epuisés mais ravis. Au terme d'innombrables rebondissements, un compromis a été trouvé, qui semble satisfaire également les fondamentalistes religieux, les démocrates libéraux et les autonomistes kurdes. Un tour de force puisqu'il s'agissait d'inscrire dans une même loi fondamentale des principes à première vue tout aussi éloignés que la religion d'Etat et la laïcité, le droit des femmes et la répudiation, l'unité nationale et le fédéralisme. Afin d'éviter que d'ultimes dérapages compromettent ce périlleux exercice, deux des tuteurs de la coalition, l'Américain Paul Bremer et le Britannique Jeremy Greenstock, ont cornaqué les débats. Au matin, le projet adopté obtenait leur blanc-seing : «un document très constructif et très progressiste».
La charia. Pour parvenir à ses fins, Paul Bremer, patron de l'administration américaine et véritable proconsul de l'Irak, a dû agiter la menace du veto. En janvier, les partis religieux chiites lançaient l'offensive en obtenant une majorité au Conseil de gouvernement pour abroger les lois qui protégeaient le statut des femmes. Une sérieuse mobilisation des féministes et des démocrates a permis d'inverser la tendance. La loi garantira les droits des femmes dans la famille comme dans l'héritage et prévoit un quota de 25 % de femmes dans les futures instances dirigeantes de l'Irak. Le second bras de fer avec les religieux a débuté le mois dernier avec la proposition d'inscrire dans la Constitution que l'islam serait religion d'Etat et la charia, la seule base du droit. Le texte de compromis stipule que la majorité des Irakiens étant musulmans, la législation future ne saurait être contraire aux principes islamiques.
«Le problème reste de savoir qui va définir la compatibilité entre les textes législatifs et la charia, gronde Safia al-Souhail, militante démocrate très active au sein du mouvement des femmes. Cette phrase donne aux religieux le pouvoir de décider ce qui est légal ou ne l'est pas. Heureusement, les libéraux ont exigé et obtenu la réciprocité en faisant stipuler qu'aucune loi ne pourra être adoptée qui soit contraire aux principes de la démocratie. Chacun se tient par la barbichette.» Une stratégie similaire a permis le déblocage de l'épineuse question du fédéralisme, auquel les Kurdes restent profondément attachés. Le projet de loi prévoit que leurs régions, autonomes, garderont ce statut jusqu'à ce que l'élection d'un Parlement puis d'un gouvernement légitime permette de trancher. En échange de quoi, chiites et sunnites glissent un pied dans la porte en prévoyant que, dans tout l'Irak, trois régions peuvent décider de former une fédération. Sur les 18 régions irakiennes, trois sont à majorité kurde, trois à majorité sunnite, neuf à majorité chiite, quand trois sont un patchwork ethnique sans majorité.
Election. Ainsi, si aucune controverse n'a véritablement été résolue, les espoirs de chaque groupe restent intacts. Et nombre de responsables politiques irakiens soulignent le caractère provisoire de cette loi. Les Etats-Unis tenaient absolument à ce qu'un brouillon constitutionnel fixe les règles du jeu politique en Irak pour la période de transition qui s'ouvrira le 30 juin, avec la remise du pouvoir des forces d'occupation à une autorité locale, et qui devrait se clore avec l'élection d'un gouvernement légitime à une date restant à déterminer. Par la suite, une assemblée parlementaire sera chargée de réécrire une Constitution définitive. Appâtés par la perspective de reprendre seuls leurs affaires en main, les partis irakiens sont donc tombés d'accord pour remettre à plus tard le règlement de leurs divergences, afin de ne pas ralentir le processus de transfert de souveraineté.